
Dans l’histoire militaire, Hannibal reste un paradoxe : stratège de génie, vainqueur de Rome à plusieurs reprises, mais incapable de transformer ses exploits en domination durable. Une sorte de malédiction, celle de voir ses triomphes profiter aux autres, tandis que lui-même restait prisonnier des contraintes de son époque.
À y regarder de près, Vital Kamerhe, désormais ex-speaker de l’Assemblée nationale, porte dans sa trajectoire politique congolaise les stigmates de ce même syndrome. Homme de réseaux, stratège redoutable, artisan des grandes victoires électorales de ces vingt-cinq dernières années, il a pourtant rarement profité pleinement de ses conquêtes. À chaque fois, l’histoire semble lui refuser l’accès à la jouissance sur le long terme du pouvoir qu’il contribue généralement à bâtir.

Le parallèle entre Vital Kamerhe et Hannibal est si fort qu’il permet de raconter son itinéraire politique à travers le prisme d’un paradoxe : être un stratège et un bâtisseur de victoires… mais rarement un bénéficiaire durable de ses propres conquêtes.
« Avec Laurent-Désiré Kabila : la victoire interrompue »
Jeune cadre prometteur de l’AFDL, Vital Kamerhe s’impose très tôt dans l’entourage de Laurent-Désiré Kabila. Il accompagne la chute de Mobutu et la consolidation du pouvoir du Mzee. Il contribue à la structuration de la communication et aux relais politiques de Kabila père. Mais en janvier 2001, l’assassinat brutal du président vient briser net ce compagnonnage. Kamerhe n’a pas le temps de transformer cette proximité en influence durable. Le pouvoir glisse entre ses mains avant même qu’il n’ait pu y inscrire son empreinte.
« Avec Joseph Kabila : de la gloire à la disgrâce »
Toutefois, Kamerhe réussit à se faire une place sous Joseph Kabila. Une place de choix. Il devient d’abord directeur de cabinet, puis président de l’Assemblée nationale. Surnommé “le Pacificateur”, il joue un rôle central dans le processus de réunification du pays et surtout dans la campagne de 2006, où il sillonne la RDC pour vendre la candidature du Raïs, alors perçu par une grande partie de l’opinion comme étranger. Joseph Kabila est élu, et beaucoup s’accordent à dire que Kamerhe fut l’artisan principal de cette victoire.
Mais en 2009, son opposition publique à l’entrée des troupes rwandaises sur le sol congolais le met en rupture avec le régime. Contraint à la démission, il sort par la petite porte d’une maison qu’il a pourtant contribué à bâtir. Comme Hannibal après Cannes, la victoire est là, éclatante, mais ce n’est pas lui qui en récolte les fruits.
« L’opposant et le fondateur de l’UNC »
Écarté du cercle présidentiel, Kamerhe fonde en 2010 l’Union pour la Nation Congolaise (UNC). Sa candidature en 2011 le propulse troisième derrière Joseph Kabila et Étienne Tshisekedi. Sa campagne, marquée par son dynamisme et son éloquence, laisse une trace. Mais encore une fois, le verrouillage politique l’empêche de transformer l’essai. Nouvelle bataille, nouvelle frustration, après sa tentative de réunir l’opposition congolaise sous une candidature unique.
« Avec Félix Tshisekedi : l’architecte de l’alternance »
En 2016, il réussit à réunir l’opposition aux côtés de Katumbi, Bemba, Muzito, Matungulu et Tshisekedi sous l’idée d’une candidature unique à Genval (Belgique). Face à eux, le dauphin de Kabila n’était pas encore connu. Sauf que, cette année-là, il n’y aura pas d’élections. Ni d’accord concret entre opposants. La CENI demande plus de temps. C’est finalement en 2018 que les Congolais vont aux urnes. Et c’est le 11 novembre de la même année qu’un accord est trouvé entre membres de l’opposition grâce aux auspices de la Fondation Kofi Annan. À Genève (Suisse).
Kamerhe choisit alors une posture plus pragmatique. Il abandonne l’accord de Genève, qui avait désigné Martin Fayulu candidat unique de l’opposition, et s’allie à Félix Tshisekedi au sein du CACH (Cap pour le Changement) depuis Nairobi, au Kenya. C’est lui qui négocie, rassure et conçoit la stratégie qui conduit à l’alternance pacifique. Et lorsque Tshisekedi entre au Palais de la Nation, Kamerhe devient Directeur de cabinet, suivi d’un accord de soutien mutuel à la prochaine élection de son partenaire. Cette fois, il croit tenir enfin sa récompense.
Mais en 2020, l’affaire du programme des 100 jours l’emporte. Incarcéré, jugé, condamné, il subit une disgrâce spectaculaire. Il est écarté du cercle présidentiel et traverse une longue épreuve judiciaire.
Encore une fois, l’homme qui a ouvert les portes du pouvoir à son camp en est chassé au moment de la victoire.
« Le retour, mais pas la plénitude »
Gracié et réhabilité, Vital Kamerhe revient en 2022 sur la scène politique. En 2024, il est élu président de l’Assemblée nationale, poste de prestige et de pouvoir institutionnel. Mais toujours pas cette victoire suprême qu’il semble avoir convoitée depuis ses premiers pas dans les hautes sphères politiques. À la prise des Villes principales du pays Goma et Bukavu par les rebelles de la coalition AFC/M23 soutenus par le Rwanda, ses collègues de l’Union sacrée de la Nation, plateforme présidentielle, lui reproche de ne pas condamner publiquement l’agression rwandaise. Ce sera le début de ses problèmes avec ses compères. Il s’en suit une pétition en son encontre et une démission ce lundi 22 septembre 2025.
« Le syndrome d’Hannibal »
Comme le général carthaginois, Kamerhe a connu des victoires éclatantes. Comme lui, il a marqué l’histoire par son intelligence stratégique, sa capacité à rallier, convaincre et fédérer. Mais comme Hannibal, il ne parvient pas à transformer ses triomphes en domination durable.
Beaucoup se demandent : s’agit-il d’une malédiction personnelle, d’erreurs de parcours, ou d’un simple reflet d’un système politique congolais où le stratège est condamné à rester dans l’ombre du souverain ?
Une chose est certaine : jusqu’à sa dernière démission en date, son nom restera inscrit dans l’histoire congolaise comme celui d’un Hannibal des temps modernes. Toujours victorieux, mais rarement triomphant.
Bahati Kasindi
Journaliste et Analyste