Tout est bien, qui finit bien. Le spectacle documentaire « Les Anioto, les hommes léopards » laisse ses griffes après une tournée complète dans la capitale congolaise. 12 dates à Kinshasa. De N’Djili à Lingwala en passant par la Commune de la Gombe, les Kinois ont clôturé en beauté ce périple dimanche 15 décembre 2019 au Musée national de la République Démocratique du Congo.
Comme dans toutes les 11 autres représentations, un débat houleux s’est déroulé à la fin, engageant étudiants, comédiens, professeurs et autres curieux venus voir le spectacle « Les Anioto ». Mais pour le dernier numéro, il y a eu une présence spéciale de plus de dix chefs coutumiers. Sans langue de bois, l’assistance a émis le vœu de voir ce spectacle être présenté dans les autres provinces de la RDC.
« Ils sont gardiens de nos valeurs. La société congolaise reconnait sans le dire, la place importante du pouvoir coutumier. L’un des exemples, c’est la célébration du mariage coutumier. Les bonnes valeurs ancestrales doivent être gardées et transmises à nos enfants », reconnait un étudiant de l’Université de Kinshasa.
Tchèque Bukasa, journaliste congolais, pense que ce spectacle pose des bases solides et tente de réécrire l’histoire du pays culturellement et scientifiquement. Dans la lutte noble de la réécriture de l’histoire qui est partagée entre la Belgique et la Rd-Congo, il est normal que les Congolais sachent qu’il y a eu la pendaison de certains hommes léopards.
« J’ai étudié en RDC mais je n’ai pas connu les Anioto »
Jean-Michel Kibushi jette les fleurs sur les petits-fils des missionnaires belges qui lui ont permis de diffuser gratuitement les vidéos acquises au Musée de Tervuren (African Museum). Ce metteur en scène pense que la croyance aux pouvoirs mystiques enrichit le cinéma et la bande dessinée belge. El Basse Manuana qui a joué le rôle de chef Douga Médaillé est heureux que ce spectacle soit hybride. Il y a la complémentarité entre les acteurs sur scène et les images animées et non animées projetées sur écran géant, s’est-il rejouit.
«J’ai étudié en RDC mais je n’ai pas connu les Anioto , mais ce spectacle m’a permis de connaître l’existence de ce phénomène. Cette histoire m’a fasciné. Il ne faut pas que ça s’arrête là. Il faut soutenir cette pièce pour que cela soit joué dans des écoles et universités pour répandre ce message. Même si tout évolue avec le temps, il y a une sève qu’on ne perd pas. Il y a toujours quelque chose qui nous reste. Les Anioto font partie de notre histoire et on doit en être fier », signifie Nenette Luzolo, présidente d’une ONG de défense des droits des femmes.
Protecteurs des communautés, la peau, les dents, les entrailles du léopard…
Au-delà des scènes et des débats, l’histoire des Anioto peut être comprise sous plusieurs angles. Il est impensable de toujours présenter les Hommes léopards comme des « charognards ». Ces guerriers, à en croire un intervenant, ont joué un grand rôle pour repousser l’envahissement des arabes colonisateurs. Mais l’image qui a été mise en avant est celle qui les diabolise.
A part cet angle, le léopard est présenté comme le pouvoir en Afrique. Le pouvoir coutumier, le pouvoir est symbolisé par la peau de cette bête qui est le totem de la RDC. Pouvoir. Force. Tranquillité. Félin.
« Le léopard fait partie d’une faune protégée: l’un des animaux les plus difficiles à repérer, ses forces sont considérées comme mystérieuses et profondément ancrées dans la mythologie forestière. Le symbolisme léopard en République Démocratique du Congo constitue donc un bon point de départ pour discuter des tentatives de contrôle et d’acquisition des forces de la nature par les humains, des dangers de la nature et du respect de l’environnement. Malgré qu’il soit une espèce protégée, les braconniers, les autorités traditionnelles et politiques brandissent pour leur dignité la peau et des dents du léopard. C’est l’occasion de lancer le débat sur les questions environnementales, de la préservation de la faune et de la flore combien riche dans le pays », propose Jean-Michel Kibushi Ndjate Wooto, metteur en scène de cette pièce de théâtre.
Combat équitable pour l’équité de genre !
Les êtres humains se préoccupent de moins en moins d’emblée du sexe du léopard. Il est rarissime d’attribuer un sexe à cet animal rapide. De ce fait, certains peuvent dire qu’en réalité, en République Démocratique du Congo n’y a pas de sexe. Tout le monde a sa place pour rayonner. Et le combat pour le genre a été résolu par le symbolisme de ce vénérable animal proposant une approche sémiologique pour les défenseurs de genre.
A ce sujet, Jean-Michel Kibushi indique que de nombreuses femelles des fauves se voient attribuer un nom spécifique, par exemple, lion, lionne, il n’en va pas de même pour le léopard. A l’écouter, « Dans le spectacle, l’accent est particulièrement porté sur la violence masculine du chef médaillé sur ses sujets et ses épouses. Dans la culture actuelle du Congo, le léopard en tant que symbole est souvent utilisé par les hommes (équipe nationale de football, costume de politiciens, emblème de l’état, des partis politiques…). Dans le spectacle, la relation entre les sexes est au centre des traditions politiques en lien avec les Anioto. Le spectacle sensibilise les jeunes générations en brisant les stéréotypes sur la place de la femme congolaise et africaine dans la société moderne », martèle le metteur en scène des « Anioto, les hommes léopards ».
« Un chef coutumier n’est pas sorcier (…) mais gardien d’une communauté »
Prenant la parole, Mfumu Kisupa, Président de l’autorité traditionnelle africaine, déclare que « tout le monde peut porter le bébé quand il dort mais quand il se réveille, il demande directement sa maman ».
« Depuis un temps dans notre gouvernement, il n’y a pas de chef diplômé d’Etat ; il n’y a que des gradués, licenciés, docteurs, mais pourquoi rien ne marche au pays ? Le jour où en RDC, l’on enseignera à nos enfants que les chefs coutumiers sont les propriétaires du pays, c’est là où nous allons constater le vrai changement. Notre identité réside dans nos noms. L’objectif de la politique des occidentaux est de neutraliser la culture ancestrale et la tradition. Si tu perds ton identité, tu deviens un esclave. Le jour où vous apprenez que les chefs coutumiers se sont réunis pour parler du Congo, c’est là que les choses commenceront à revenir à l’ordre», déclare le chef Kisupa.
Expliquant le mot Chef, Mfumu Kisupa dit que le CHEF signifie « Conseiller Honnêteté Educateur et Fermeture (CHEF). Nous sommes couronnés après neuf nuits et neuf jours de retranchement. Notre mission est de gérer les bonnes et mauvaises personnes dans une communauté. Un chef coutumier n’est pas sorcier. Il ne tue pas ; mais il est gardien des valeurs d’une communauté. Il sait que dans son village, il y a des voleurs, malfaiteurs, percussionnistes et des gens forts qui aident la société à aller de l’avant », souligne-t-il avant la fin de cet évènement.
Et après ? Après cette tournée de 12 dates à Kinshasa, le spectacle « Les Anioto, les hommes léopards » reviendra en version film documentaire. La sortie est prévue en 2020, sauf bouleversement de calendrier.
Onassis Mutombo