
À travers une lettre ouverte, l’ancien rappeur engagé et devenu acteur politique majeur au sein de la coalition Lamuka, Alex Dende aka Lexxus Légal a répondu au Cardinal Fridolin Ambongo sur sa déclaration condamnant les Congolais de ne refléter que la danse et la musique.
À Son Éminence le Cardinal Ambongo
Avec tout le respect que je vous dois,
Je me permets de réagir à vos propos sur la musique et la danse, que vous avez décrites comme signes de superficialité et de médiocrité.
En tant qu’artiste et citoyen engagé, je trouve cette déclaration injuste, blessante, et surtout en décalage avec la profondeur réelle de notre culture.

Si je peux me permettre, la musique et la danse ne sont pas des distractions futiles, elles sont les ultimes espaces de résistance, de mémoire et d’expression dans un pays traversé par une crise profonde, multidimensionnelle et violente.
Est-ce donc à cause de la musique que des provinces entières à l’Est de notre pays sont aujourd’hui entre les mains de groupes armés, pendant que certains généraux fuient leurs responsabilités ?
Est-ce la danse qui a installé la corruption au sommet de l’État, dans les institutions, jusque dans les églises ?
Est-ce la chanson qui a rendu la justice malade, au point que Fatshi lui-même le reconnaît ?
Est-ce l’artiste musicien qui a dégradé l’éducation, réduit les professeurs au silence, parfois même à la complicité ?
Est-ce encore la scène musicale qui a creusé les inégalités sociales, affaibli l’économie, détruit l’espoir des jeunes ?
Je ne pose ces questions que parce qu’on semble, trop souvent, les éviter. Et parce que, régulièrement, dans notre société, c’est l’artiste que l’on pointe du doigt. Comme si le musicien devait payer pour tous.
Mais faut-il rappeler que dans la tradition biblique, on chante pour Dieu, on danse pour la vie, on joue pour ne pas mourir ?
David dansait devant l’Arche, les psaumes sont des chants, et Jésus lui-même n’a jamais condamné la joie du peuple.
Au contraire, il s’est toujours tourné vers celles et ceux qui, par leur parole ou leur chant, touchaient les cœurs.
Ce n’est pas la musique qui tire le pays vers le bas.
Au contraire, elle le maintient debout.
Elle crie quand d’autres se taisent.
Elle rassemble quand tout divise.
Elle console quand tout blesse.
Elle dit la vérité que d’autres redoutent.
Le vrai problème n’est pas la « superficialité » des artistes, mais l’incapacité de ceux qui prétendent incarner la profondeur à changer les choses.
Plutôt que de jeter la musique et la danse, et ceux qui les portent à la sévère critique, il serait juste de reconnaître leur rôle et de les soutenir dans leur combat pour que le Congo ne soit pas seulement un pays qui survit, mais un pays qui crée, qui pense, et qui espère.
Alors, pour conclure :
Vous dites qu’ « il n’est pas normal que le peuple congolais soit seulement identifié à la danse, à la musique « .
Mais moi je dis : il est tout à fait normal qu’un peuple trahi, méprisé, exploité et meurtri par son élite canalise son expression pour ne pas disparaître, et tant mieux si le monde le reconnaît pour cela.
Avec respect et lucidité,
LEAD (Lexxus Alex Dende)