Nous avons vu, dans la précédente page d’histoire, comment Viva la musica a fait sa sortie officielle au bar » Type K » de Tabu Ley Rochereau le 26 février 1977 à Kinshasa. Il est peut-être intéressant de mentionner que lorsque Papa Wemba et ses amis (Sharufa, Pesho Wangongo, Sacré Zaza. . . ) créent cet orchestre, ils n’ont pas les moyens de leurs ambitions. Par exemple, ils n’ont pas d’instruments de musique.
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Le destin va faire en sorte qu’un sponsor, un mécène inattendu apparaisse. Maxime Soki Vangu, musicien, grand notable kinois, il portera à bras le corps la jeune formation musicale qu’est Viva la musica en lui offriant ses premiers instruments de musique ainsi que les premiers sponsoring.
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Malgré les nombreux conseils que Soki Vangu reçoit de la part de ses amis et connaissances pour le dissuader de soutenir Papa Wemba et son Viva la musica, il persiste dans sa volonté d’aider Jules Shungu.
Pour quelles raisons ? Le patron de l’orchestre Bella-Bella en a trois au moins.
Premièrement, Soki Vangu est un passionné de musique. Il avait créé en 1969, avec son jeune frère Emile Soki, un orchestre dénommé Bella-Bella qui eut beaucoup de succès dans les années 1970. Donc, pour lui, aider Papa Wemba, ce garçon dont il flaire le grand potentiel artistique, c’est une façon de pérenniser cette musique congolaise qu’il aime tant.
Deuxièmement, comme homme d’affaires, il a l’intuition que Viva la musica pourrait être une affaire très juteuse ; il décide donc d’investir dedans.
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Troisièmement, Soki Vangu a une dernière motivation plus prosaïque. En effet, il a des comptes personnels à régler avec le concurrent numéro un de Papa Wemba, Mavuela Somo, patron de Yoka-lokole; qui a chassé Jules Shungu Wembadio sans ménagement de ce groupe au mois de décembre 1976.
Soki Vangu reproche à Mavuela Somo un manque de respect à son égard parce qu’il a appris, de plusieurs sources, comment Mavuela était entrain de courtiser sa compagne Getou Salay.
Il se devait donc de soutenir Viva la musica pour casser Yoka-lokole et donner ainsi une leçon de savoir-vivre à Mavuela.
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Trois mois après sa sortie officielle, on est au mois de juin 1977, Viva la musica continue à caracoler en tête des hit-parades et reste l’orchestre qui bouge Kinshasa, Brazzaville et le reste de deux Congo.
Mais un événement, presque banal, va se passer au Village Molokai (qui veut dire Masi-Manimba, Oshwe, Lokolama, Kanda-kanda, Inzia. Les noms des avenues où se trouve le QG de Viva la musica). Événement qui va marquer la suite de la vie de cet orchestre. C’est l’arrivée d’un jeune étudiant et musicien amateur qui deviendra le directeur artistique de Viva la musica et, si on peut se permettre cette image, l’apôtre Pierre de Papa Wemba. Il s’appelle Jean-Baptiste Mubiala Emeneya.
Considérant l’impact que ce garçon a eu dans Viva la musica ( compositeur de talent, chanteur avec des capacités exceptionnelles) et dans la musique congolaise en général, nous nous devons aujourd’hui de survoler son parcours, son intégration et son évolution dans l’orchestre Viva la musica.
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Septième d’une famille de 12 enfants, Jean-Baptiste Mubiala Emeneya est né le 23 novembre 1956 à Kikwit, la grande ville de l’actuelle province du Kwilu. Fils d’André Mubiala Malela, comptable à l’Éducation nationale, et de Marie-Scholastique Kibeya Sakungi, commerçante de son état.
Il fait ses études primaires à l’École Officielle Centrale de Kikwit. Pour ses études secondaires, il est envoyé à l’internat à la mission Kikwit Sacré-cœur, à l’Institut Don Bosco (Indobo). Il aura comme camarades de dortoir l’honorable Godard Motemona et Lidjo Kwempa. Ce dernier est son ami. Lidjo Kwempa vient de Masi-Manimba mais à Kikwit, il habite chez les Mubiala. Le père d’Emeneya, le vieux André Mubiala, est d’ailleurs son tuteur.
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Jean Mubiala Emeneya va être exclu de son école d’Indobo à cause de sa passion pour la musique. Passion qu’il a développé lorsqu’ il apprenait à chanter dans les chorales de paroisses catholiques.
Sa grande-soeur, Adrienne Mubiala, l’amène à Idiofa où elle l’inscrit à l’Institut Longo. Établissement dans lequel son mari est coordonnateur. Il y obtient son diplôme d’État.
Sa sœur l’envoie à Lubumbashi, accompagné par les prières de son père qui souhaite que son fils Jean devienne un homme important dans la vie. Dans la capitale du Katanga, il s’inscrit à l’université et habite chez monsieur Longin Mbela, professeur à l’université de Lubumbashi.
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C’est pendant ses études dans cette université qu’il intègre un orchestre d’étudiants dénommé » Les Kassapards « . De Kassapa, nom du quartier de Lubumbashi où est situé l’université. Et le président de cet orchestre n’est autre que Jean Misha Mulongo, un ami à Papa Wemba.
Convaincu par le talent du jeune Mubiala, Misha Mulongo va lui proposer de l’amener à Kinshasa, pendant les grandes vacances de juin 1977, pour l’enregistrement et la production de sa chanson.
Emeneya accepte la proposition de son président mais à deux conditions : que sa famille ne soit pas au courant de son arrivée à Kinshasa et que son séjour dans la capitale ne soit pas long parce qu’il a des examens à présenter à la deuxième session.
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Arrivés à Kin vers fin juin 1977, Misha Mulongo amène Jean Mubiala de l’aéroport de Ndjili directement au village Molokai et le présente à son ami Papa Wemba. Misha explique à ce dernier qu’il a amené ce jeune homme, qui est son musicien, à Kinshasa pour l’enregistrement de sa chanson et il souhaiterait que Papa Wemba lui rende un service en l’accompagnant au studio avec Viva la musica.
Papa Wemba souhaite d’abord tester le jeune chanteur pour se faire une idée de son talent. Il demande alors à Emeneya de chanter quelque chose. Celui-ci s’exécute en chantant la chanson » Liwa ya somo « , un ancien succès de Jules Shungu Wembadio dans Zaiko Langa-langa; chanson qu’il avait composé à l’occasion du décès tragique de sa mère Marie Nyondo dans un accident de circulation. Elle revenait de son travail à la station terrienne de la Nsele.
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D’après Emeneya, Papa Wemba aurait pleuré après sa prestation, tellement il était ému. Ce qui est incontestable est que Papa Wemba accepte que Viva la musica accompagne Emeneya en studio pour l’enregistrement ; mais lui-même personnellement, il ne sera pas de la partie parce que Misha lui apprend que ça sera aux studios Vévé de Kiamuangana Mateta. Papa Wemba informe son ami qu’il est ,en ce moment là, en très mauvais termes avec Kiamuangana.
Pour faire plaisir à son ami Misha, Papa Wemba va donc demander aux membres de son orchestre d’accompagner cet étudiant en studio. Sur les quatre chanteurs de Viva la musica, trois vont refuser de le faire pour deux raisons essentielles: ils ne connaissent pas cet étudiant et, eux, sont déjà des vedettes très populaires à Kinshasa et ailleurs. Il s’agit de Bipoli, Espérant Kisangani et Petit Aziza.
Le seul chanteur qui va accepter d’accompagner Emeneya en studio, avec le reste de l’orchestre, c’est Jadot le Cambodgien.
Cette première chanson d’Emeneya, enregistrée aux studios Vévé, s’appelle « Milena » et sort sous le nom de son orchestre » Les Kassapards » alors que l’orchestre qui l’accompagne à l’enregistrement c’est Viva la musica. On l’attend d’ailleurs citer les noms de Jadot le Cambodgien, Pinos, Siriana, Bongo Wende. . . qui l’accompagnent.
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Comment expliquer alors que cet étudiant qui était venu à Kinshasa juste pour enregistrer sa chanson pour le compte de son orchestre les Kassapards avec l’accompagnement en studio de Viva la musica dans l’intention de rentrer à Lubumbashi le plus vite possible poursuivre ses études universitaires, que ce musicien amateur devienne par la suite membre effectif de Viva la musica et même le lieutenant de Papa Wemba, c’est à dire le numéro deux de l’orchestre ? Quels sont les faits et les événements qui vont conduire à cette intégration et ce bouleversement de la hiérarchie de Viva la musica ?