dimanche, avril 27
Meet the target Banner
Meet Logic PRINT Banner
Tous derrière les FARDC

Entretien : l’album « Vis » de Ben Kamuntu pour « continuer à faire vivre la poésie en RDCongo »

Par sa plume modeste et authentique, par son timbre vocal singulier, Ben Kamuntu explore les sonorités multicolores enfouies dans la beauté des langues et de la poésie. Le 19 décembre dernier, ce slameur et art-i-viste basé à Goma, en République Démocratique du Congo, a dévoilé « Vis», son premier album slam qui contient 14 titres. Déjà, il a participé dans 3 éditions du Festival Amani, au Congo International Film Festival Festival (CIFF), à la JAM Session de Dakar, présent dans les deux documentaires «  Congo Calling », «  Les messagers », Kamuntu a des performances orales qui donnent un sens vibrant à chaque mot et à chaque vers.

Au micro Arts.cd, ce membre de la Lucha a évoqué la naissance du projet, l’histoire de son engagement pour valoriser les droits humains dans son pays, célébrer la poésie et le sens de la vie. Entretien

Militant et artiste, deux casquettes qui te conviennent mieux ?

Ben Kamuntu (BK) : Je découvre le slam en 2013, par hasard, et c’était la même année que j’ai intégré le mouvement lutte pour le changement. Il y a vraiment une similitude. C’est deux choses qui font partie de ma vie. A la base, j’ai beaucoup fait du théâtre et quand j’ai découvert le slam, directement je me suis servi de cet art pour m’exprimer, extérioriser et partager mes pensées, mes convictions pour un Congo nouveau, de paix, de justice sociale, faire vivre la poésie car notre société en a plus besoin. Je ne sais pas si je peux m’appeler « art’iviste »… (Rire)

Pourquoi après 6 ans de carrière, enfin, tu t’es décidé de sortir un album ?

Un album parce que j’ai voulu inviter le public à écouter mon univers. C’est un album qui est constitué de beaucoup d’émotions, de sentiments personnels et je me suis dit qu’il y a de gens qui peuvent aussi se retrouver dans ce que moi j’ai vécu, rencontré,… En fait, cet album est une confrontation avec soi, avec l’autre, c’est un cocktail de sensations.  Je fais cet album par envie de continuer à faire vivre la poésie mais aussi appeler les gens à s’interroger sur les différents faits de notre société.

« A chaque fois, être une femme célibataire, c’est comme si on a commis la plus grande erreur du monde. C’est inacceptable »

« VIS », c’est le titre. Pourquoi le choix de ce mot polysémiques comme titre ?

Pour moi, ce mot polysémique m’a parlé personnellement. J’ai voulu chercher un lien, une liaison entre les différentes significations de ce mot et trouver quelque chose de global, de fédérateur et aussi trouvé de questionnements pour différentes situations que nous traversons dans notre société. Pour sa première signification, c’est le verbe « vivre », à la deuxième personne du singulier au mode impératif. C’est cette impératif de demeurer dans notre être, de mener notre vie.  Au-delà de cet instinct de survie que nous tous nous avons étant être humain, c’est un appel à toutes les personnes à prendre la vie en main.  L’autre signification fait directement référence aux petites pièces en fer qui rassurent les assemblages d’éléments et pour moi, il est très important l’aspect de la connexion. Cet album c’est une interconnexion de différentes émotions, sonorités et ça renvoi même à l’universalité.

Dans le morceau « Maman », tu rends hommage à ta mère et aux femmes congolaises. Que représentent les femmes dans ta vie d’artiste ?

open.spotify.com/album/0fQh4bnx…

J’ai voulu parler d’un phénomène « femmes célibataires » dans notre communauté. A chaque fois, être une femme célibataire, c’est comme si on a commis la plus grande erreur du monde. C’est inacceptable. C’est un questionnement sur ce fait social, c’est un hommage pour toutes ces braves femmes qui font tout pour élever leurs enfants. C’est un texte personnel mais je crois que beaucoup de personnes vont se retrouver dans ce slam. C’est un morceau d’intimité, d’hommage, de reconnaissance par rapport à l’engagement, au grand cœur que toutes ces femmes ont car c’est à ça que sert l’art aussi dans une société.

« Je n’ai jamais vu un gars si courageux que Luc Nkulula (…) »

 « Nyumbani » est le récit de ta ville de Goma. Apres Ebola, Corona Virus et éruption du volcan Nyiragongo, les artistes locaux ne lâchent rien et veulent toujours montrer au monde entier la résilience de gomatraciens comme tu l’as fait ?

J’ai voulu célébrer cette ville poétique entre le lac Kivu et la chaine de montagnes de Virunga.  Je pense aussi que ce slam est une résistance contre les espoirs manipulés. Les medias, les politiques et certaines ONG’s doivent arrêter de surfer sur le mot résilience puisque ce mot-là, à un certain moment, renvoi à un statu quo, on dit ‘’les gens de Goma sont résilients, le volcan est passé, ils vont encore se relever ‘’. Nous avons besoin de solutions durables pour nos problèmes permanents, on ne veut pas juste un discours politicien.

« H20 », c’est le titre de ton album dédicacé à Luc Nkulula, un des fondateurs de la Lucha assassiné il y a 3 ans. Qui il était pour toi et pourquoi avoir voulu l’immortaliser ?

Luc est une personne ordinaire, mais c’est une personne qui a su se battre pour un idéal plus grand que sa propre personne. C’est un modèle, un héros. J’ai même fait un feat avec lui, voix donne de frissons, ça a de l’aura, de l’impact. J’ai eu la chance de connaitre Luc, c’était un communicateur hors normes. Je n’ai jamais vu un gars si courageux que Luc Nkulula. H2o c’est un slam de mémoire, de consécration d’un modèle. Tous les gens qui peuvent nous inspirer, on les cherche en Europe, en Asie,… mais il serait mieux d’être inspiré par quelqu’un qui a fréquenté les mêmes écoles que nous, qui a mangé la même nourriture que nous….C’est pourquoi j’ai voulu partager ce moment d’intimité et de mémoire avec Luc.  La plupart de punchlines que j’ai écrit, à un certain moment, je les ai écoutées de la bouche de Luc.

« La connexion avec un public donne au slam sa dimension spirituelle et authentique car le slam c’est avant tout le partage(…) »

 « Bosembo », cette chanson qui réclame justice et une paix durable avec comme point de repère le rapport mapping, est-il le titre phare de ton album ? 

Je ne dirais pas que c’est le titre phare, peut-être c’est ton coup de cœur…(Rire).  Beaucoup de gens ont leur préférence mais c’est qui est sûr, c’est le titre qui a beaucoup circulé avant la date officielle de la sortie de l’album avec le clip vidéo qui a accompagné, ce qui a donné de l’impact. Je trouve que c’est aussi un morceau qui est si sensible et qui rentre dans nos vies quotidiennes. Pour moi, « Bosembo », c’est un cocktail de rages, de révolte mais aussi d’espoir pour une paix durable en RDC.  Depuis plus de 25 ans, nous connaissons un cycle infernal de violences et toutes les méthodes qui sont utilisées ne sont pas efficaces. Il faut changer et pour moi je me suis lié au combat du prix Nobel de la paix, le Dr Denis Mukwenge, qui mène un plaidoyer exceptionnel avec différentes organisations de droits humains pour l’implémentation d’un tribunal pénal international pour la RDC parce que je suis convaincu que la paix ne passera que par un processus de justice, de réparation, de réconciliation et de mémoire en RDC. L’impunité accentue le cycle de violences.

Tu es du Collectif Goma Slam Session, mais dans cet album aucune collaboration avec un de vos compères. Pourquoi ? Ne sont-ils pas au niveau ?

Ah non !, ce n’est pas ça …(Rire). « Ici on slamme », qui parle du collectif, c’est le premier même qui ouvre l’album parce que je voulais parler de ce mouvement slam qui est très actif ici à Goma.

Un message pour les mélomanes  

Consommons massivement l’album « Vis », écoutons, réécoutons, partageons avec nos proches, faisons-nous du bien. L’album est disponible sur toutes les plateformes de streaming légales. Et bientôt en 2022, je reviens avec les concerts. Il n’y a pas jusqu’à présent de dates, on y travaille.

J’ai hâte de faire de concerts, de monter sur scène et célébrer la vie et la poésie avec des personnes ivres de l’envie de partage, de personnes qui résistent contre la peur de l’autre. La connexion avec un public donne au slam sa dimension spirituelle et authentique car le slam c’est avant tout le partage, le partage de mots, le partage d’émotions.

David Kasi/ Nord-Kivu