Expo: « Colonisation moderne », Aicha Muteba et Anouk Bertaux interpellent !
«Colonisation moderne » est l’intitulé de la nouvelle exposition artistique à l’Institut Français de Goma qui fermera ses portes mardi 23 février 2020.
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L’artiste Aicha Muteba et l’historienne de l’art Anouk Bertaux ont collaboré ensemble pour dévoiler, à travers les tableaux de peintures, la version actuelle de la colonisation qui se décline sous plusieurs aspects dont la politique, la religion, la technologie.
Une collaboration entre deux inclassables
L’artiste Aicha Muteba et l’historienne de l’art Anouk Bertaux se connaissent depuis quelques temps. C’est tout d’abord sous la forme d’une confrontation entre deux caractères, proches mais aussi divergents, que le lien s’est crée. Une relation rigoureuse, de confiance tout en proposant des thèmes d’actualités.
Qualifié parfois d’enfant terrible, Aicha Muteba, ancien étudiant en sculpture et peinture des Beaux Arts de Kinshasa, a bien compris, pour réaliser cette exposition, qu’il fallait se tempérer et prendre le temps du dialogue notamment avec Anouk Bertaux. Cette jeune femme qui est née à proximité de la Suisse, est tout à la fois discrète et déterminée en dehors des codes en se spécialisant dans les artistes abordant les inhumanités. Un duo hétéroclite qui s’est cependant bien trouvé, qui présente leur première exposition.
« Colonisation. mot nous happe à la gorge, que l’on soit du coté du colonisé ou que l’on soit du coté du colonisateur. La colonisation moderne regroupe ces obligations, liant colonisateur et colonisé, dominant et dominé. De façon globale, le colonisateur veut asseoir son autorité sur le colonisé, qui possède quelque chose que le colonisateur n’a pas. Cette relation inégale tend à une forme d’asservissement de l’individu dans l’intérêt de la personne ou du groupe colonisateur », stipule la note de l’artiste, qui fait partie de la jeune génération d’artistes Kinois qui bougent et s’investissent dans les collectifs pour porter ensemble des projets novateurs. Lui-même a été initiateur d’une grande fresque performance au sol, à l’occasion des 70 ans de l’Académie des Beaux Arts de Kinshasa, en 2013. Cette fresque qui mesurait 25 mètres de long sur 125 cm de large a été réalisée en une seule journée.
« Notre exposition sera donc l’écrin, doux et incisif, brut et coloré de ce monde actuel, fracturé par cette colonisation moderne »
Comportant une dizaine de tableaux dont chacun renferme un message précis. Le dialogue est une discussion, un échange sans intention cachée entre deux individus. Le dialogue devient une forme de domination si un but, une intention qui contraigne un des deux interlocuteurs se manifeste et prend le dessus dans le dialogue. La colonisation peut être perçue comme un dialogue fracturé sans communication puisqu’il y a une intention contraignante pour le colonisé.
Pour l’œuvre « Colonisation moderne»; La colonisation, à ses origines, se focalisait uniquement sur les ressources d’un territoire dans le but d’en soutirer un maximum de profits à l’avantage du colonisateur. Les minerais des pays d’Afrique, comme le Congo, sont exploités par des enfants, pour les profits d’un Etat plus riche, mais pas meilleur au niveau des droits de l’homme et de l’enfant. Exploiter des enfants pour extirper du cobalt à l’autre bout du monde et détruire des communautés musulmanes en son propre territoire.
Dans sa forme moderne , la colonisation est centrée sur les réseaux sociaux. Point de vue qui n’a pas été épargné dans les œuvres exposées. « Réseaux…Tous connectés » : cette colonisation est partout. Dans nos téléphones, nos habits, notre mode de vie, notre alimentation. Nous existons, communiquons par ces applications, qui connectent, sensibilisent le monde entier au détriment de toutes les personnes qui ont été exploitées pour la conception du téléphone que nous tenons en main, quelque soit la couleur de notre peau et notre situation géographique. Or, peut être que c’est le seul moyen de survie.
La Religion peut elle être un outil de colonisation ? C’est bien ce que croient les deux exposants.La religion joue un rôle décisif dans l’Histoire humaine. Bien que la croyance revête diversesformes, le fait de croire en une entité supérieure, ce que nous appelons ‘religion’, peut être utilisée comme outil de domination et par conséquent de colonisation. Ainsi, la religion peut être imposée à une communauté, à un pays dans le but de le contrôler. C’est le message que l’on retrouve dans les œuvres d’Aicha, avec différentes représentations notamment le Christ en croix.
Le tableau « Un piano à queue » dévoile un autre outil ; La musique, instrument de colonisation ? Peut être, comme toute création humaine… L’humain, a cette volonté, inconsciente, de vouloir dominer l’autre. La musique peut, a pu, servir d’outil de colonisation. Par exemple l’enseignement de la musique classique par des colons dans les colonies au siècle dernier, et, sans parler de colonisation moderne, il suffit de voir la naissance des différents styles musicaux, fruit d’échanges culturels comme le jazz, le raggadancehall. Le piano, représenté par Aicha Muteba, symbolise la place de la musique classique notamment, dans les anciennes colonies ainsi que la musique contemporaine principalement européenne et son influence dans le monde.
« L’empire des marques » est la plus actuelle de sortes de la colonisation moderne démontrées dans l’exposition. Ce sont de grands noms de marques européennes telles que Gucci, Versace, Louis Vuitton… Des marques chères que la majorité des habitants des pays d’origine ne pourraient pas s’offrir. Pourtant, ces marques sont prisées en Afrique, symboles de réussite sociale et financière mais produites sans doute en contrefaçon. Un empire des marques, un empire du paraître. Les habits des personnages d’Aicha évoquent ces marques en reprenant leurs motifs.
« Cet emprunt littéraire du terme “colonisation” est délibérément volontaire et nous en assumerons les conséquences. Il s’agit en effet de l’occupation, l’exploitation, la mise sous tutelle d’un territoire dans l’objectif d’en exploiter les richesses. De nos jours, les territoires ne sont plus restreints, notamment grâce à l’essor de la technologie, sans limite ni contrainte, allant jusqu’à enfreindre les droits humains. Un monde en chute libre mais dont l’espoir de vivre malgré tout reste vivace », explicite Aicha Muteba sur le document de présentation de cette exposition.